Soeur Marie Mondésert, CCN, Londres

Dans un mélange de crainte et d’espérance, la Conférence de Lambeth, qui s’est déroulée cet été à Canterbury, était très attendue. En effet, ce rassemblement majeur de l’ensemble des évêques de la Communion anglicane n’a lieu que tous les dix ans, et il représente un instrument essentiel d’unité au sein des provinces autonomes et libres de prendre leurs propres décisions.

Nous étions cinq du Chemin Neuf : Marie-Christine et Dominique Ferry, à qui l’on avait demandé de faire partie la Chaplaincy Team de longue date, et Pascale Avice, Mélissa Oodoomamsaib et moi, en vertu de notre mission à Lambeth Palace auprès de la Communauté Saint Anselme. Avec d’autres membres de différentes communautés religieuses ainsi qu’avec les jeunes Saint Anselme, nous étions là pour prier, intercéder, écouter et accueillir ceux qui en avaient besoin. 

C’était avant tout un privilège pour nous de participer à un tel évènement : privilège d’être là pour être « amis dans le Seigneur », privilège de pouvoir rencontrer et échanger avec les évêques anglicans des quatre coins de la planète, privilège de participer à la liturgie qui unissait la pureté des mélodies anglaises à la vie des rythmes africains ou aux sonorités des chants asiatiques.

Tous les matins, la conférence commençait par une réflexion biblique sur la Première Lettre de Pierre qui était suivie par un partage en petits groupes fixes : toutes les personnes présentes sur le site, évêques, conjoints des évêques, serviteurs impliqués dans divers services, partageaient chaque jour comment cette Parole les rejoignait aujourd’hui. A travers ce partage biblique quotidien, il y avait déjà une semence d’unité.

Mais le trésor que je garde dans le cœur a été la manière dont les tensions autour des problématiques éthiques ont été surmontées.

La question du mariage de personnes du même sexe était au cœur des préoccupations de Justin Welby, l’Archevêque de Canterbury, et des évêques. Chacun mesurait parfaitement la force de division que peut susciter une telle question. Beaucoup ne parlaient que de ça, et certaines provinces avaient choisi de ne pas participer à la Conférence, ou d’envoyer simplement des représentants, tant le désaccord était déjà prononcé.

L’atmosphère était donc chargée de cette préoccupation et l’Archevêque Justin Welby l’a explicitement mentionné dans son discours d’ouverture, soulignant que cette question était fondamentale, qu’il faudrait l’aborder, mais qu’il ne souhaitait pas que ce sujet nous fasse oublier d’autres questions également importantes, comme l’évangélisation ou l‘écologie. 

Chacun attendait donc ce fameux jour consacré à la dignité de l’homme (human dignity). La veille, il se trouve que je suis tombée sur un article dans la presse, critiquant durement Justin Welby et sa stratégie de l’entre-deux. Cet article disait en substance : en tendant la main aux libéraux aussi bien qu’aux conservateurs, Justin Welby ne satisfait personne. Il refuse de prendre position sur la question du mariage entre personnes de même sexe, alors même que ce genre de sujet ne tolère pas de relativisme ou de neutralité.

Il me faut avouer qu’en lisant cet article, le doute et le découragement sont entrés dans mon cœur. J’ai pensé que cet article disait vrai, que la division était inéluctable et que personne ne pouvait se satisfaire d’une position floue quand il s’agissait d’éthique.

Le jour se passe, nous n’avions pas la possibilité d’assister à la délibération. Mais toujours est-il que le soir venu, nous avons vu tous les évêques sortir de la grande salle de conférence, souriants et détendus. L’atmosphère était à la légèreté. Quelle qu’ait été la teneur des échanges, tous étaient visiblement soulagés. 

Le lendemain, j’ai eu la chance de rencontrer deux évêques qui, en toute discrétion, ont ouvert leur cœur sur ce qui s’était passé la veille. Justin Welby a su créer un espace dans lequel la pensée et la foi de chacun avait sa place. Il a rassuré, affirmant qu’il n’était pas là pour dicter ce que devrait être la conviction personnelle des évêques et de leurs fidèles. Il a permis, au sein même de la Communion, la coexistence et la légitimité de différentes positions au sujet du mariage entre personnes de même sexe. Mais il a posé deux exigences, comme deux balises pour la route. La première balise est celle de l’unité : Justin Welby a appelé les évêques à choisir avant tout de rester des frères et des sœurs. A privilégier les liens de l’affection mutuelle, plutôt qu’une prise de position tranchante qui exclut. La seconde balise est celle du dialogue : ne pas baisser les bras devant la difficulté, accepter que les choses ne puissent pas être gravées dans la pierre dès maintenant, et que plus de vérité émergera d’un dialogue en profondeur. 

Justin Welby a donc appelé les évêques à continuer la route ensemble, autant que possible, en dépit du profond désaccord qui divise la Communion au sujet de cette question. 

Apprendre à ne pas être d’accord sans s’exclure, à s’écouter jusque dans nos positions opposées et à garder « the bond of affection », cette décision de continuer à faire route ensemble malgré tout, c’est sans doute une des richesses que nous pouvons recevoir de la Communion anglicane.

Le dernier jour, lors de l’Eucharistie de clôture de la Conférence, nous avons tous eu la grâce de toucher du doigt ces liens d’affection qui unissent les évêques au-delà des convictions éthiques. L’évêque qui présidait, avant l’envoi final, a appelé l’Archevêque et sa femme Caroline à se tenir devant l’autel et les a remerciés, devant tous ses frères et sœurs évêques, pour la manière dont ils avaient su les conduire et prendre soin du troupeau tout au long de la Conférence. Les mots étaient simples, pas écrits, mais ils sortaient du cœur de cet évêque. A peine avait-il conclu que l’assemblée de la Cathédrale s’est levée, comme un seul homme, pour applaudir et ovationner l’Archevêque et Caroline Welby.  

Pendant cinq minutes, les murs ont tremblé de ces applaudissements et de ces exclamations. Un moment de gratitude, de reconnaissance, de célébration. Un moment de profonde consolation pour tous ceux qui avaient craint le pire pour cette Conférence. Un moment de régénération des forces pour tous ceux qui avaient travaillés dur. Un moment plein d’espérance pour ceux qui avaient été découragés. Moi qui ne pleure jamais, je n’ai pas pu m’en empêcher. J’étais heureuse pour l’Archevêque, heureuse pour la Communion anglicane, heureuse pour l’Eglise toute entière. C’était un moment de gloire. 

La procession finale a été très joyeuse et s’est terminée dans une sorte de danse spontanée, menée par les percussions. Rien de liturgique ni d’anticipé, mais la joie qui éclatait.

Oui, le miracle de l’unité se poursuit, sur le parvis de la Cathédrale de Canterbury, l’église-mère de la Communion anglicane.